L'espace
L'espace
est la représentation de la synthèse
des rapports fixes qui unissent les variations
de nos sensations objectives à celles de
nos sensations idéelles.
Cette définition
est la traduction critique de celle-ci : l'Espace
est la représentation de notre puissance
sur nos sensations objectives : laquelle rappelle,
mais ne reproduit pas la définition exacte
de Bain : l'Espace est une possibilité
indéfinie de sensations.
Elle est
la réduction analytique de celle de Kant
: "l'Espace et l'Etendue (Anschauung) est
la forme a priori de la sensibilité extérieure."
Cette forme a priori, ce sont simplement nos sensations
idéelles, ou plutôt ce sont elles
qui la déterminent, l'exigent et l'expliquent
: c'est-à-dire l'Espace n'est que la représentation
hétérogène de ce rapport,
de ce compos‚ idéal. La continuité,
l'infinité, l'unité de l'Espace
sont la représentation de celles du point,
c'est-à-dire du non-étendu ou implication
absolue et dépendance absolue d'un tout
du contenu de la Pensée à chaque
instant.
Le Temps
Le temps
est la représentation de l'ordre fixe auquel
nos sensations objectives, imaginées et
senties, distinguées comme telles, rattachent
en les analysant, nos sensations idéelles.
En termes
non critiques le temps est la représentation
de la dépendance où nous tiennent
nos sensations objectives. Cette "forme a
priori de la sensibilité intérieure"
que serait le temps suivant Kant, n'est autre
chose que l'ordre fixe dans lequel la représentation
de nos sensations objectives nous contraint à
analyser notre sensation idéelle présente,
c'est-à-dire que c'est la représentation
hétérogène du rapport de
dépendance qui subordonne celle-ci à
celles-là.
<2>
Le Temps et l'Espace ne sont pas construits pièce
à pièce par la sensation, ni par
la logique. Ce sont des corps simples de la pensée,
comme le veut Kant, irréductibles, mais
parfaitement explicables, en ce sens qu'on peut
montrer à quoi ils servent, pourquoi ils
apparaissent dans la pensée, de quelle
réalité ils permettent la représentation
et comment tous leurs caractères y répondent.
La représentation
du temps et de l'espace serait...
Sans le
temps, point de mesure, point de nombre, point
de conception ; (les actes semblables de mesure
et les sensations semblables seraient indiscernables).
Le Mouvement...
<3>
La perception et la représentation.
La représentation
est la figuration, soit spatiale, soit temporelle,
de la synthèse des rapports qui unissent
les divers groupes de sensations autogènes
avec les groupes correspondants de sensations
idéelles.
Cette figuration
peut être plus ou moins exacte, plus ou
moins arbitraire. Il y a toujours une part de
fiction, d'hallucination dans la représentation.
Mais fiction ici est inexact ; car la représentation
est toujours la plus vraie possible et tout ce
qu'elle peut être étant donné
les sensations éprouvées et celles
qui ont manqué encore. Il n'y a donc pas
une différence de nature entre la représentation
en général, qui peut être
fausse, et la représentation vraie :
celle-ci n'est que l'idéal de celle-là,
qui est la réelle. Toute représentation
est accompagnée de croyances et la représentation
n'est pas une perception plus un jugement de réalité.
Ce jugement que nous y découvrons ou croyons
y découvrir par l'analyse n'y est pas en
réalité : il suppose les notions,
et en particulier la catégorie (substance,
etc) que les animaux ni les enfants n'ont besoin
de concevoir pour croire à la réalité
du monde extérieur. La vie représentative
se suffit à elle-même. Toute représentation,
comme tout acte de l'esprit ou tout phénomène
psychique est accompagné de croyance. Seulement
elle ne se justifie et ne s'explique que dans
la vie supérieure.
Si l'on
entend par perception l'acte de croire à
l'existence d'objets et que l'on prenne ce mot
au sens métaphysique, <4> il est
clair que la perception sera un acte d'entendement.
Mais c'est nous, psychologues et métaphysiciens,
qui introduisons ce sens dans ce mot : dans la
perception réelle, l'objet n'est qu'une
circonscription du représenté, circonscription
non conçue comme telle, comme un séparé,
un objet, mais seulement représentée,
déterminée.
Il y a
pourtant quelque chose de plus dans la perception
que dans la simple représentation : la
perception c'est le mouvement de la représentation,
c'est-à-dire sa progressive et perpétuelle
confirmation, c'est-à-dire réintimation
: en elle-même elle est en effet une aliénation.
C'est dans
ce sentiment à double face qu'elle représente
que consiste la vie de l'âme.
La croyance
Elle n'est
ni un acte libre, ni le résultat nécessaire
d'un acte d'entendement. La croyance qui se présente
avec un caractère de liberté et
celle qui porte la marque de la nécessité
sont seulement deux formes, deux espèces
particulières du fait général
de croyance, qui s'étend aussi loin que
la vie psychique même, et qui n'est que
l'adhésion, ou pour mieux dire l'adhérence
de l'esprit à chacun de ses modes, le fait
que chaque mode est partie de l'esprit. La nature
toujours identique de cet acte, de cette adhérence
est aperçue différente par l'entendement
suivant les degrés de la vie psychique
où elle se présente, c'est-à-dire
suivant la nature de ses objets. Dans la vie inférieure,
représentative, elle paraît indéterminée :
on l'appelle opinion, parce qu'elle n'a pas <5>
pour objet des connaissances, mais de pures représentations
: elle paraît alors indéterminée,
fortuite ; dans la vie moyenne, d'entendement,
on l'appelle conviction : elle paraît déterminée
parce que ses objets sont des connaissances mises
en rapport entre elles, unifiées mais objectivement.
Enfin dans la vie supérieure, la croyance,
c'est alors le nom qui la désigne, paraît
libre parce qu'elle n'a plus d'objet objectif,
autogène, que ses objets sont de pures
idées.
Mais comme
la vie psychique n'est, non plus que tout autre
objet, pleinement expliquée, justifiée,
que par la réflexion, il en résulte
que la conviction déterminée qui
accompagne le jugement peut paraître libre,
que l'opinion indéterminée peut
paraître déterminée ou même
libre suivant le point d'où on la considère.
En réalité ces formes particulières
de la croyance ne sont ni l'une ni l'autre en
elles-mêmes : elles paraissent seulement
telles suivant leurs objets et telles selon le
degré de la pensée dont elles sont
l'objet actuellement.
Les Catégories
Les catégories
ne sont rien de plus que des représentations
de rapports entre les différentes classes
d'objets intellectuels considérés
comme ayant une existence objective. La causalité
et la finalité ne sont que deux formes
de la nécessité ; de même
la réciprocité. La causalité
c'est la nécessité entre le successif
; la réciprocité, entre le simultané
; la finalité, entre le fait et l'idée.
La substance, c'est etc.
<6>
Le tableau des catégories établi
par Kant est le suivant :
Quantité
|
Qualité
|
Relation
|
Modalité
|
Unité
|
Réalité
|
Substance et inhérence
|
Possibilité et impossibilité
|
Pluralité
|
Privation
|
Causalité et dépendance
|
Existence et non-existence
|
Totalité
|
Limitation
|
Communauté ou action
réciproque de l'agent et du patient
|
Nécessité et
contingence
|
Le tort
de Kant est 1°) de mettre sur la même
ligne toutes ces catégories, de n'en pas
essayer la réduction, autrement dit de
rester dans l'empirisme.
2°)
De se laisser guider dans l'établissement
de ce tableau par des considérations de
symétrie ou de n'avoir pas écarté
les considérations qui avaient guidé
les logiciens antérieurs.
S'il avait
cherché par l'analyse le sens psychologique
de ces catégories et de leurs formes, il
aurait aperçu le caractère arbitraire
de plusieurs de ces divisions.
Remarquons
par exemple comment il définit la limitation
; nous allons voir qu'elle n'est pas une forme
de la qualité.
"Sont
indéfinis (unendlich) les jugements
affirmatifs pour la forme logique générale
(non toujours en apparence, car ils peuvent se
présenter, et en dehors de l'usage logique,
ils se présentent, comme négatifs)
mais dont l'attribut est négatif, c'est-à-dire
que, niant une qualité d'un être,
ils affirment de cet être la qualité
contraire, divisant par là tous les êtres
possibles en deux par rapport à cette qualité."
Kant donne
pour exemple : l'âme est non-mortelle,
disant que par ce jugement, on ne rapporte pas
l'âme à une classe déterminée,
mais à la classe indéfinie constituée
par l'abstraction des seuls mortels.
<8> On pourrait encore réduire plusieurs
fois cette sphère indéfinie par
plusieurs jugements sans avoir pour cela déterminé
d'une manière affirmative la nature de
l'âme.
L'exemple
est malencontreux, car le contraire de mortel
n'est nullement indéterminé, comme
celui de rouge par exemple, et en général
d'une qualité sensible : quand le jugement
limitatif est indéterminé, il l'est
accidentellement. Je ne puis, dit-il, faire les
deux choses à la fois, supprimer l'erreur
que l'âme serait mortelle, et ranger l'âme
dans la classe indéfinie des non-mortels.
Si je fais la première, j'ai au moins gagné
quelque chose, la suppression d'une erreur ; dans
le second cas, je n'ai rien gagné, je n'ai
pas déterminé mon idée par
un attribut affirmatif. Ainsi, pour Kant, le jugement
limitatif, affirmation dans la forme, n'est dans
le fond, c'est-à-dire "si on se place
au point de vue de la valeur ou du contenu de
cette affirmation logique, au moyen d'un prédicat
purement négatif", ni affirmatif ni
négatif : il n'est pas déterminé,
il n'ajoute rien de défini à la
connaissance, il est indéfini.
Cela n'est
pas exact : quand je dis : l'âme est
non-mortelle, ainsi que nous l'avons vu plus
haut, au point de vue logique, formel, c'est-à-dire
considéré isolément, le jugement
est aussi déterminé qu'il peut l'être.
Quant au contenu, c'est-à-dire si on le
met en rapport avec mes jugements, si le jugement
négatif équivalent me débarrasse
d'une erreur, le jugement : <9> l'âme
est non-mortelle ne m'en débarrasse
pas moins, car il suppose un jugement négatif
: la preuve en est que jamais la pensée
ne forme spontanément, n'articule, un jugement
limitatif. Quand elle le fait, c'est dans une
opération logique, par une inférence
immédiate (obversion, changement de qualité),
par suite en percevant le rapport entre la prémisse
et la conclusion, autrement dit en percevant celle-là
dans celle-ci. Il est impossible de considérer
le contenu du prédicat dans le jugement
limitatif : l'homme est non-mortel, sans opérer
la division expresse des êtres en mortels
et non-mortels, c'est-à-dire sans percevoir
en même temps : l'homme n'est pas mortel.
Dans ce dernier jugement, le jugement négatif,
dit Kant, j'ai au moins
gagné quelque chose, la suppression d'une
erreur, dans le premier, limitatif, je n'ai rien
gagné du tout, puisque je n'ai pas déterminé
mon idée par un attribut affirmatif. Tout
au contraire, c'est le jugement négatif
qui est indéterminé, le jugement
limitatif est déterminé au même
sens que lui, puisqu'il le contient, et, en surcroît,
par la division qu'il fait de tous les êtres
selon les deux attributs opposés mortel
et non-mortel, par l'élimination
qu'il fait de l'attribut mortel, il est
plus déterminé que le jugement négatif.
En un mot
le jugement négatif en lui-même est
moins déterminé que le limitatif
correspondant puisque son attribut n'oblige pas
l'esprit à concevoir une division de l'être
en deux contraires dont l'un exclut l'autre, ce
que fait le jugement limitatif.
<10>
Un jugement ne peut être selon la qualité
qu'affirmatif ou négatif : il n'est limitatif
que selon la relation. Le jugement limitatif est
un jugement catégorique indéterminé,
par disjonction imparfaite du genre supérieur.
Il n'est vraiment indéterminé que
lorsque le concept est empirique. Il ne l'est
pas dans l'exemple de Kant où le concept
est rationnel, c'est-à-dire possède
un contraire.
Commençons
par la relation qui est la catégorie fondamentale
dont toutes
dérivent.
1°)
Le jugement catégorique correspond à
la catégorie substance-inhérence.
C'est bien, mais il faut entendre substance-inhérence
au sens purement logique, sans quoi le jugement
ne comprendrait que des jugements singuliers :
ceci est rouge, cette table est solide,
Pierre est savant, tandis qu'il comprend
en infiniment plus grand nombre les jugements
à sujets généraux ou abstraits.
Il faut donc entendre par substance-inhérence
le rapport d'une qualité à toutes
celles que nous lui considérons comme unies
objectivement dans l'idée. La vraie nature
du jugement catégorique est donc d'appliquer
une abstraction à une représentation,
au sens le plus général du mot,
qui comprend aussi bien la représentation
concrète et l'intuition abstraite que la
représentation idéale ou conception.
Le sujet et le prédicat n'y sont donc pas
du même ordre comme le supposent les partisans
de la quantification de l'attribut. Le sujet est
une représentation, c'est-à-dire
un composé objectif ou supposé tel,
un composé qui, actuellement, s'offre à
l'esprit tout fait, s'impose à lui, le
représente ; l'attribut est une <11>
idée analytique, un élément
subjectif, compris ou supposé compris actuellement,
c'est-à-dire aperçu dans son fondement
éternel, en apparence en dehors de nous,
en réalité dans notre nature. Il
n'y a pas de représentation objective,
empirique, de l'abstrait comme tel ; dans son
vrai et unique rôle, le rôle de l'attribut,
il n'est jamais quantifié. Quand il devient
sujet, c'est-à-dire général,
il change de nature. Dans l'homme est mortel,
Pierre est homme, etc, ce n'est
pas le même terme homme qui est dans
les deux prémisses. Dans la mineure, Pierre
est homme, homme est une abstraction,
un élément d'explication supposé
inempirique, éternel, tandis que dans la
majeure, homme est un objet d'expérience,
une représentation objective de quelque
chose que nous supposons exister en dehors de
nous. En faisant d'une idée générale
un sujet, nous transportons en dehors de nous
un faisceau d'idées abstraites, c'est-à-dire
de notions ( = rapports) subjectives. De là
le caractère arbitraire de toute majeure.
(Au contraire, les mineures sont fondées
en expérience, parce que le moyen terme
y est pris abstraitement, c'est-à-dire
subjectivement, intemporellement). C'est le passage
qui fait le caractère illusoire de tout
syllogisme.
Les définitions
idéales sont des propositions catégoriques
réciproques (convertibles simplement),
c'est-à-dire où toute l'intuition
(représentation abstraite) est exprimée
dans le prédicat, c'est-à-dire est
analysée.
Quant aux
propositions identiques, elles peuvent être
1°) descriptives, c'est-à-dire
descriptives déterminatives (Exemple :
Pierre est le Cousin de Ph, si Ph n'a pas
d'autre cousin) <12> ou 2°) tautologiques
ou verbales, lorsqu'elles transforment une analyse
en une autre équivalente, et en ce cas
le sujet est un terme complexe comme l'attribut
; ou enfin strictement identiques : A est A.
Celles
des deux premières sortes ne sont pas vraiment
identiques et grâce à ce fait doivent
être considérées comme des
propositions catégoriques.
Les dernières
n'en sont plus ; elles sont absolument vides,
elles n'ont qu'un terme et n'en opèrent
aucune analyse, ne font aucune réduction
de représentations au concept : sujet et
attribut y sont sur le même plan et n'y
font qu'un.
Il faut
en dire autant des égalités mathématiques
(non pas sans doute des propositions réelles,
des rapports objectifs entre des intuitions, que
les équations expriment et qui sont de
véritables propositions expérimentales
: en somme il y a trois sortes de propositions
mathématiques : les définitions,
expression d'intuitions pures ou concepts, les
équations et les intuitions de rapports
géométriques concrets, enfin les
égalités, expressions d'équivalences
abstraites : c'est en celles-ci que consiste le
calcul. Les premières correspondent aux
propositions catégoriques et en sont, les
secondes aux propositions hypothétiques
et en sont, les troisièmes aux propositions
disjonctives, établissant de purs rapports
dans l'abstrait. Il y a enfin en mathématiques
aussi de pures identités : A est A,
comme Pierre est Pierre.
En somme,
le rapport exprimé par le jugement catégorique
est le rapport <13> de représentation
à abstraction. La catégorie substance-inhérence
ne signifie pas autre chose.
2°)
Le jugement hypothétique exprime selon
Kant le rapport de cause à effet. Cela
est inexact par défaut. Outre ce rapport,
il en exprime d'autres, le rapport de simultanéité
et de succession constante, celui de juxtaposition
ou de séparation, celui de finalité
(si vous voulez savoir commander, il faut apprendre
à obéir), enfin tous les rapports
exprimés par des conjonctions autres que
ou : par exemple, dès que, quoique.
Qu'est-ce
donc qu'il y a en commun entre tous ces rapports,
c'est-à-dire quel est le rapport général
qu'exprime le jugement hypothétique ? Simplement
un rapport, un rapport nécessaire. Mais
alors, par quoi ce jugement se définit-il
? Uniquement par la nature des termes qu'il met
en rapport. Ces termes sont des faits. Un fait
est la modification autogène d'une représentation
ou cette modification en tant qu'elle est considérée
comme comprise dans l'unité analytiquement
déterminée du tout de la représentation.
La distinction entre la représentation
proprement dite et la représentation conceptuelle
n'est pas utile ici : car la représentation
n'étant qu'un système de rapports
entre des termes supposés fixes et isolés
pour les besoins du moment est par conséquent
toujours universelle, même la représentation
sensible, tant qu'elle est considérée
en <14> elle-même, et ne devient particulière
que dans son rapport avec celles qui la circonscrivent
dans la conscience présente...
Les
Formes de la Pensée
En elles-mêmes,
abstraction faite de leur rapport entre elles,
c'est-à-dire du rôle qu'elles jouent
dans la pensée, elles ne sont rien. Rien
n'est en soi : il est impossible de se représenter
le temps et l'espace par exemple en dehors d'une
matière, et dans une matière, ils
ne sont que la représentation de l'inadéquation
de cette matière sensible au sentiment
absolu qui la possède et la contient. C'est
ce sentiment qui est pour l'élément
sensible le principe d'organisation, d'incorporation.
De la sorte toutes les formes peuvent aussi bien
être dites déduites qu'induites,
obtenues par analyse que par synthèse,
ou plutôt elles le sont par rapprochement.
Le tout dans chacune est toujours donné
avant l'élément, puisque la mise
en communication des deux extrémités
du senti est toujours directe et que nous n'intercalons
qu'ensuite les intermédiaires.
Causalité
et Finalité
La causalité
c'est le rapport d'un fait au tout des faits ;
la finalité, le rapport d'un élément
d'idée au tout de cette idée et
par là au tout de l'idée. La causalité
c'est l'unité du fait, la finalité
celle de l'idée, c'est-à-dire le
rapport entre l'être posé par la
raison et l'être subi par l'entendement.
La Douleur
Fait primordial,
sentiment absolu d'insuffisance. De là
le mouvement de l'être.
Vérité
et Réalité
<15>
L'empirisme prétend faire sortir la forme
de la connaissance de sa matière, la sensation,
le nécessaire du contingent. Mais ces deux
idées ne seraient point distinguées,
n'en seraient qu'une, ou plutôt il n'y en
aurait point. Kant maintient l'originalité
de la forme, c'est-à-dire la connaissance
même. Mais cette forme est pour lui purement
subjective, et ne nous fait pas connaître
l'être en soi, mais l'être par rapport
à notre constitution intellectuelle : le
phénomène. Or en quoi consiste la
vérité de ce phénomène
? En ce que l'expérience y justifie les
formes de notre pensée tandis qu'en dehors
des phénomènes elles ne sont plus
justifiées, vérifiées. Admettons
d'abord qu'elles le vérifie. Pourquoi le
peut-elle ? Deux hypothèses seulement.
Ou bien la matière de la connaissance,
le sensible, est en soi susceptible de sa forme
et telle est la source de la vérité
; ou elle y est indifférente et reçoit
de la forme même sa nature pensable. La
première, selon Kant, serait surabondante
: si la forme est a priori, pourquoi la
matière l'aurait-elle déjà
et comment le pourrions-nous savoir ? Si elle
l'a d'avance, pourquoi la forme a priori
serait-elle nécessaire ? Donc c'est la
pensée qui forme sa matière. Mais
alors il n'y a plus de vérification expérimentale,
point d'infériorité, par suite,
de la connaissance métaphysique à
l'autre : il suffit que la pensée s'exerce
pour qu'elle soit légitime. Seulement la
connaissance tout entière est purement
subjective : la nécessité, qu'elle
croit saisir dans la matière, serait un
arrangement superficiel qu'elle lui impose pour
sa propre commodité ; de plus elle est
purement hypothétique : la certitude que
sa matière lui apparaîtra suivant
des lois n'entraîne pas pour la pensée
la certitude qu'elle lui apparaîtra en dehors
du présent.
<16>
Maintenant une telle connaissance est-elle notre
connaissance, même purement phénoménale
? Non, celle-ci implique d'abord non pas seulement
la représentation à vide dans le
temps subjectif indéfini, mais la certitude
qu'une représentation placée dans
le temps a été et sera, c'est-à-dire
est indéfinie en elle-même, c'est-à-dire
qu'une matière lui sera effectivement donnée,
c'est-à-dire l'affirmation du temps concret
en soi ; elle implique ensuite non seulement la
représentation à vide dans l'espace
subjectif indéfini, mais la certitude qu'une
représentation pleine, indéfinie
elle-même, dans l'espace, existe, c'est-à-dire
qu'une matière lui est effectivement donnée,
c'est-à-dire l'affirmation de l'espace
concret en soi. En un mot le phénomène
véritable que nous connaissons, c'est le
phénomène en soi non pas subjectif,
mais objectif, fondé sur sa matière
et donné par elle indéfiniment bien
qu'il apparaisse seulement dans sa forme ; c'est
le monde n'existant pas seulement pour nous par
cette matière qui en est le contenu actuel
pour nous, mais par celle que nous affirmons sans
la posséder, comme le prolongement et le
complément nécessaire de la nôtre
qui à son tour la complète nécessairement.
Il y a une vérité phénoménale
de la matière sensible actuellement éprouvée,
non pas seulement par rapport à elle-même,
mais par rapport au tout de la matière
sensible. Or qui dit matière sensible dit
matière sentie. Le phénomène
véritable est donc le phénomène
vrai pour tout esprit et nous l'affirmons, dépassant
ainsi infiniment les bornes de la sensation et
celle de la nécessité formelle de
fait.
L'empirisme
et le transcendantalisme se trouvent ainsi réfutés
de fait comme donnant moins que la pensée
ne possède ou plutôt ne croit posséder.
Nous en tenant là, nous n'aurions fait
qu'établir <17> la prétention
de la pensée à détenir davantage
et non la nature exacte et la réalité
ou la légitimité de cette possession.
Il nous reste à établir par l'analyse
que la connaissance métaphysique (et quelle)
est implicitement contenue dans la connaissance
expérimentale, si bien qu'il faudra choisir
entre rejeter les deux ou accepter les deux (la
causalité concrète, pleinement déterminée,
n'est que l'idéal de l'accord des esprits
avec le fait, c'est-à-dire qu'elle suppose
la finalité ; elle la suppose aussi en
expérience subjective, parce que le nécessaire
donné suppose le libre, l'idéal
(conceptuel) non donné). (Deux formes irréductibles
du sentir : la sensation (du donné), le
sentiment (du non donné) <)>.
La causalité suppose bien, quoi qu'en dise
Kant, une liaison correspondante dans la matière
dont elle est la forme phénoménale,
mais non une liaison du même genre, et sur
ce point Kant a raison : elle...
_______________________
<18>
Il est impossible de construire l'étendue
avec des éléments, avec autre chose
qu'elle-même : elle est un corps simple
de la pensée. Rien en somme n'est constructible
ainsi, de ce qui donne à la pensée
le sentiment de quelque chose de distinct : c'est-à-dire
que tout distinct est distinct absolument. Cela
est évident dans ce qu'on appelle la sensation,
car elle est différenciation absolue et
production spontanée. Même voulue
et préparée, nous la subissons,
nous ne la composons pas avec les précédentes
et avec l'idée ou les idées poursuivies,
quoique les unes et les autres la déterminent.
Elle jaillit en nous et s'impose, comme une uvre
étrangère. Toute différenciation
est passion.
De même
pour les idées. L'analyse nous montre les
prétendus éléments d'une
idée ; ce n'est pas éléments
qu'il faut dire, c'est conditions : encore faut-il
ajouter d'explication, ou plutôt de compréhension,
c'est-à-dire conditions qui rendent possibles
la fusion de l'idée avec d'autres états
dans un état nouveau, ce qui est proprement
comprendre. Ainsi les éléments prétendus
de l'idée n'y sont que pour la conscience
de l'analyste et non pour la conscience commune.
Il n'est même pas nécessaire qu'ils
s'y soient trouvés à l'origine et
que l'habitude les ait effacés. D'abord,
il est certain que l'habitude n'est pas seulement
inconscience, mais néant de pensée
: c'est-à-dire que les éléments
ne sont plus pensés à aucun degré,
ce qui n'empêche pas le composé de
l'être. <19> Dès lors, pourquoi
auraient-ils eu jamais besoin de l'être
? On peut objecter l'habitude qui supprime la
pensée, mais qui la suppose. C'est que
le cas est autre. Il n'y a nul rapport nécessaire
entre l'action habituelle et l'état, indifférent
et variable, qui la précède. Au
lieu qu'entre les éléments sensibles
à comprendre et l'idée, du moins
la forme dite a priori, il y a un tel rapport,
rapport tel qu'ils ne peuvent être compris
que par cette forme, parce qu'elle représente
le schème de l'action qui la comprend ou
condense. Dès lors les prétendus
éléments ne sont que l'analyse de
ce rapport, et il n'est pas plus nécessaire
que nous les connaissions (où en est d'ailleurs
la théorie fixe, uniquement admise ?)
qu'il n'est nécessaire que nous comptions
les ondes, sources de sons harmoniques, pour percevoir
l'harmonie. C'est le savant qui les compte et
non l'oreille. De même pour les idées,
pour l'étendue. On peut dire qu'elles sont,
qu'elle est sentie, en ce sens qu'elle s'impose,
comme comprenant, non comme elle-même expliquée.
Il est
même inexact que les éléments
idéaux de la forme dite a priori
soient l'analyse du rapport qui l'unit à
ses éléments sensibles. D'abord,
dans l'étude actuelle, il convient de distinguer
nettement la genèse des états de
même ordre, par exemple, des sensations
proprement dites d'un même sens, <20>
de celle d'un état d'ordre nouveau dans
lequel le précédent, ou plutôt
l'inférieur, est impliqué ou plutôt
en nombre plus ou moins grand, condensé,
ou en outre, réuni à des états
de même degré, mais spécifiquement
différents. C'est cette genèse du
supérieur qui peut s'appeler l'application
de l'a priori. Il n'y a pas d'a priori
dans l'esprit, au sens d'une préexistence,
mais à celui d'une prédétermination
; mais de la prédétermination d'un
rapport entre états inférieurs et
état supérieur, celui-ci devant
être amené par ceux-là sans
leur être identique, sans être explicable
par eux. L'a priori c'est donc l'irréductibilité
d'un degré de la pensée à
un autre. Sans a priori en ce sens, il
n'y aurait pas de pensée, mais une poussière
d'états. L'a priori est une incorporation
à divers degrés de ces états
à la pensée. Quand elle a lieu,
elle satisfait et donne le sentiment de la parfaite
convenance du contenant au contenu, mais elle
donne autre chose à l'analyse : elle donne
celui d'une absolue différence ; cette
absolue différence dans la parfaite convenance
est ce que nous appelons a priori, c'est-à-dire
ce que nous nous représentons comme antérieur
dans le temps à l'élément
inférieur qu'il contient, c'est-à-dire
à ce que nous appelons vaguement l'expérience.
L'expression
d'a priori est deux fois impropre : d'abord
parce que le supérieur ne nous est pas
donné, ni n'existe en dehors de l'inférieur,
<21> ensuite parce que rien ne s'explique
par autre chose dans la pensée. A quoi
donc répond dans la réalité
la distinction vulgaire de l'a priori et
de l'a posteriori ? A celle de l'apparition
du nouveau dans le même degré (a
posteriori) et dans un degré supérieur,
enveloppant (a priori). L'a priori
en un mot, ce n'est pas l'indépendance
de la nature spirituelle en face d'une autre,
ni même celle de ses degrés, dans
la réalité mentale, mais leur irréductibilité :
l'a posteriori est l'irréductibilité
de l'équigrade comme l'a priori
celle de l'inéquigrade. L'éternité
de l'a priori est la représentation
de son absoluité hétérogène
unie à la parfaite convenance : elle la
traduit en une sorte d'harmonie préétablie.
La temporalité de l'a posteriori
c'est la représentation de l'absoluité
homogène, équigrade, mais sans convenance,
sans implication.
Il y a
donc autant d'attributs de l'être qu'il
y a de degrés dans la pensée, et
autant de modes qu'il y a de diversité
dans ces degrés. Ces modes sont absolus,
irréductibles, aussi bien dans les degrés
supérieurs que dans l'inférieur,
malgré l'apparence contraire qui tient
à la nature compréhensive de ces
modes supérieurs : ils sont également
a posteriori. Cela veut dire qu'aucun de
ces modes n'est contenu dans les précédents,
que tous supposent un mouvement de l'esprit, ou
plutôt sont...
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