Institut Alain

"La Menuiserie"
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L'Almanach d'Alain

 

Mai nous arrive, et les villages sont fleuris. Les bouquets du printemps sont jetés un peu partout ; en traînées dans les plaines, en taches vives au milieu des bois ; mais autour des maisons il y a des nichées d'arbres fleuris ; chaque village a ainsi sa couronne ; cela marque le domaine du jardinier ; ici ont travaillé les mains, les couteaux, les bêches ; plus loin, le bœuf et la charrue. Mais bientôt la grande verdure va confondre tout, et les champs reprendront le village.

Je pensais à ces choses comme je roulais dans un de ces petits trains campagnards, qui ont l'air de suivre les sentiers. Le vent de la course faisait voler les pétales et sans doute aussi le pollen ; nous faisions des mariages en passant, comme en a fait ces jours-ci tout ce grand vent au soleil. Comme la vie se jette au dehors d'elle-même, au premier temps favorable ! Les arbres sont fixés par leurs racines, et condamnés à vieillir et à mourir là où ils sont nés ; mais ce n'est qu'apparence. Le meilleur de l'arbre se porte au bout des branches et s'organise dans le bourgeon. Au premier soleil, cela éclate en fleurs, et toute fleur est un arbre qui émigre ; l'arbre s'enfuit hors de lui-même et se reforme plus loin, si la terre le permet.

Il y a des voyages et des migrations de plantes, sensibles à l'œil du jardinier ; les herbes suivent l'eau et le vent ; tantôt elles descendent ; tantôt elles escaladent un talus. Laissez votre jardin tranquille. Les herbes rentreront, par-dessus les murs et par-dessous les portes. Chaque plante est fixée, mais l'espèce se meut. Le pollen voyage dans le vent, ou sur le dos de l'insecte ; bientôt la graine s'envolera. Beaucoup de graines ont des ailes ; d'autres, à maturité, sont lancées comme par explosion. "Quand la forêt marchera, Macbeth sera vaincu" ; cette prophétie obscure, et qu'ils exécutent en portant des arbres coupés, cette prophétie se réalisait d'elle-même ; car, avec un peu de patience seulement, on voit que toute forêt marche.

On dit bien aussi : "Quand les hommes changeront, quand ils ne seront plus avides, jaloux, ambitieux la justice sera." Nous sommes tentés aussi de couper une forêt et de la porter à bras. Mais les hommes marchent plus vite qu'on ne croit. Chacun d'eux après trente ans est aussi immobile qu'un arbre ; il a sa forme et ses nœuds ; mais les enfants courent, et ce sont toutes les idées qui courent ; pendant que vous le définissez, il est déjà hors de lui-même. On voudrait pousser l'homme, et ses enfants sont déjà loin. Nous jugeons mal de ces choses, parce que chacun de nous est lié à sa nature acquise comme un arbre est lié au sol. Toute doctrine sèche sur pied en apparence ; le vieillissement atteint tout et durcit tout. Mais après un peuple vient un autre peuple, fils du premier, qui voit ce que l'autre a rêvé, qui fait ce que l'autre a voulu. Non pas sans échecs, ni sans retours, mais toujours sous cette loi que c'est le meilleur de l'homme qui s'échappe, et qui fructifie, soit en idées, soit en hommes. Se reproduire c'est se produire.

Dont les hommes d'âge ne se rendent pas bien compte lorsqu'ils disent que tout le monde se moque maintenant des espérances de leur jeunesse ; elles sont mortes pour eux, par la dureté de l'âge ; mais elles sont déjà plus qu'espérance dans les enfants qui courent. Par exemple, ils reviendraient presque à la religion ; mais leurs enfants ne l'ont même point connue. Personne ne marche et tout avance. Macbeth est vaincu, la forêt marche.

26 avril 1911